jeudi, novembre 14, 2019

Stérile ou fertile ?

La vidéo ne trompe-t-elle pas nos émotions ?

Je suis assis à une table, à attendre mon sandwich « foie de volailles » dans un snack marocain. Sur l’écran en face de moi, volume coupé, une belle chaîne documentaire diffuse un reportage, vraisemblablement sur un hôpital dans un pays en développement. Régulièrement, le déroulé est entrecoupé de l’interview d’une personne en studio qui doit raconter le fil de l’histoire ou commenter le reportage. Mais est-ce un vrai reportage terrain ou une mise en scène ?

Je prends du recul, l’absence de son et de voix facilitant cette distance à l’image, et j’entame une réflexion sur les émotions que je perçois.

En analysant l’image, je constate que le tournage caméra à l’épaule fait beaucoup bouger l’image. Que le montage hache les plans, qui durent parfois moins d'une seconde. J’observe les très gros plans, au plus près des jambes d’un malada que l’on porte à mains nues, je remarque les plans cadrant un barreau au premier plan, flou. Je note les zooms, décadrages, tournages au niveau du sol presque, effets de flou sur le pourtour de l’image, effets sur la couleur générale, plutôt désaturée.

Puis je ressens, des émotions telles que palpitation, stress, et des sentiments d’impuissance, d’élan humanitaire, d’écoeurement peut-être…

Puis je réalise que ces sentiments ne sont pas dus aux contenus des images de cet hôpital sale, démuni, pauvre, à l’hygiène catastrophique mais qu’ils sont très certainement dus aux images elles-mêmes comme vecteurs d’information, à la manière de les montrer, de manière chaotiques, mouvantes, "travaillées pour...".

C’est-à-dire que c'est comme si d’un côté j’ai le contenu des images représentant un hôpital avec ses odeurs, sa luminosité, sa « vie propre », avec sa temporalité, où le temps existe, probablement lent, un temps "fertile" pour l’observateur, vecteur si j’avais pu accéder à cette qualité d'images, d’émotions fortes, lentes, profondes, sincères. Et comme si de l’autre côté j’ai l’image, au sens technique, et le montage, qui deviennent seuls vecteurs d’émotion tant ils prennent de la place, comme s’ils vomissaient leurs intentions sur ma table, avec un temps accéléré, un temps "stérile", une mise en scène que je subis, des images travaillées, porteurs d’une émotion totalement paralysante.

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