La vidéo ne trompe-t-elle pas nos
émotions ?
Je suis assis à une table, à
attendre mon sandwich « foie de volailles » dans un snack
marocain. Sur l’écran en face de moi, volume coupé, une belle chaîne
documentaire diffuse un reportage, vraisemblablement sur un hôpital
dans un pays en développement. Régulièrement, le déroulé est
entrecoupé de l’interview d’une personne en studio qui doit
raconter le fil de l’histoire ou commenter le reportage. Mais
est-ce un vrai reportage terrain ou une mise en scène ?
Je prends du recul, l’absence de son et
de voix facilitant cette distance à l’image, et j’entame une
réflexion sur les émotions que je perçois.
En analysant l’image, je constate que le tournage caméra à l’épaule fait beaucoup bouger l’image.
Que le montage hache les plans, qui durent parfois moins d'une seconde. J’observe les très gros plans, au plus près des jambes
d’un malada que l’on porte à mains nues, je
remarque les plans cadrant un barreau au premier plan, flou. Je note
les zooms, décadrages, tournages au niveau du sol presque, effets de
flou sur le pourtour de l’image, effets sur la couleur générale,
plutôt désaturée.
Puis je ressens, des
émotions telles que palpitation, stress, et des
sentiments d’impuissance, d’élan humanitaire, d’écoeurement
peut-être…
Puis je réalise que ces
sentiments ne sont pas dus aux contenus des images de cet
hôpital sale, démuni, pauvre, à l’hygiène catastrophique mais
qu’ils sont très certainement dus aux images elles-mêmes
comme vecteurs d’information, à la manière de les montrer, de
manière chaotiques, mouvantes, "travaillées pour...".
C’est-à-dire que c'est comme si d’un côté j’ai
le contenu des images représentant un hôpital avec ses odeurs, sa
luminosité, sa « vie propre », avec sa temporalité, où le temps existe, probablement lent, un
temps "fertile" pour l’observateur, vecteur si
j’avais pu accéder à cette qualité d'images, d’émotions fortes, lentes, profondes,
sincères. Et comme si de l’autre côté j’ai l’image, au sens
technique, et le montage, qui deviennent seuls vecteurs d’émotion
tant ils prennent de la place, comme s’ils vomissaient leurs
intentions sur ma table, avec un temps accéléré, un temps "stérile", une mise en scène
que je subis, des images travaillées, porteurs d’une émotion
totalement paralysante.
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